la porte du tableau
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants
dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle
grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare
suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi
et le frisson de l’âme nue
nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues
suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final
étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir
Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô
Texte de Luc Fayard, voir la mise en scène dans Galerie Amavero, illustré par l'oeuvre de Mimi Svanberg et celle de Xia Gui.
Poème deux fois primé : paru dans L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022 et Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022/
rouille
d’âme dolente
teinte graduelle
voleuse d’heures
poussière de larmes
et d’espoirs rancis
palette enrichie
de strates sensibles
lente alchimie
de la destruction
destinée inexorable
des abandons fatals
comme si par avance
la trace fardée du temps
vouait chair et âme
mais parfois
de cette liane
ensorcelée
rubigineuse
surgit le rouge sang
d’un cœur qui bat
comme une fleur
plus belle qu’elle
Texte de Luc Fayard inspiré du tableau Accroche-toi de Benoît de Senneville
soir flamboyant
ou glaçons orangés
fond de taffetas rouges
bordant la mer qui bouge
immeuble ultra-moderne
et gratte-ciel bleui
train à vapeur en berne
par la fumée noirci
non je ne veux pas voir
les rivières de sang
mais le soir flamboyant
fort de rêve et d’espoir
Texte: Luc Fayard inspiré de : soir flamboyant, de Guillaume Villaros - 2010/2014 - acrylique au couteau sur papier - 60 x 50 cm
grille
la lumière traverse
la grille de la pluie
trait d’espoir
tout se reflète
se complète
passé présent futur
le son rebondit
en goutte à goutte
sur la flaque
le cœur s’arrime
à la transparence
les portes de la vie
se sont ouvertes
hiver blanc bleu
se frotte les yeux
cachant des secrets folâtres
dans son manteau d’ouate
avec lui la vie fourmille
avant d’éclore
émoustillé il déclame
je ne suis pas
ce que vous voyez
le givre et la neige
je suis aussi l’attente
le futur et l’espoir
où tout se prépare
devant la vitre
sur neige et glace mêlées
visage dans l’arbre
terre contre ciel
avenir en kaléidoscope
papier froissé
lettres cachées
naissance sibylline
d'un nouvel œuf
lignes verticales
autant de traces
pour avancer
sous les nuages
sur le chemin
de l’espoir
halo qui luit
s’emmitouflant dans son manteau d'ouate infernale
aux teintes bleuies de zinc rocher d'araignée
l'horizon s'enterre dans un brouillard sale
qui abrite un écheveau d'intimités
reliant le ciel qui pleure à la terre qui fume
désemparée par ce règne nu
où les couleurs de la vie se diluent
mon âme gémit désorientée
pleurant les mots refoulés
les émotions perdues
les sourires reclus
les sentiers lumineux qui se sont éteints
les paysages qu'elle n'aura jamais peints
mais elle fait plus que pleurer la serpillière
elle se tord de douleur la sorcière
elle s'arrache des tonnes de vies ratées
les murs de la nuit noire se recréent
alors dans le froid sombre qui hurle
où tout se tait
où rien ne plait
furtif un mouvement haut esquisse une virgule
ridicule
la lune naïve tente une épopée
incertaine trouée de grisaille uniforme
ironique le cercle mal dessiné
s'élève péniblement sur des hommes
pour que mon âme s'y accroche
sans la moindre anicroche
je discerne enfin là-bas une lueur moirée
cible vacillante qui ne veut pas mourir
étendard fragile d'une révolte sans les soupirr
que je pourrai enfin brandir pour espérer
le halo qui luit a mis le holà à ma longue nuit
routes violettes
les prés roses et rouges
le soleil bleu
jouera sur la lumière et les ombres
on dansera sur les places
dans les villages éclatants
le sourire éclairera
la figure des gens
et les enfants riront
de ces couleurs nouvelles
accolées au pays
tambour
les chemins d’ornières s’y nichent à l’affût
j’ai perdu le désir des franches cavalcades
mon âme est traversée d'un brouhaha diffus
le rêve est panache fumée grise qui part
l’amour des mains vaincues dans leur quête du vent
le bonheur un îlot milieu de nulle part
le rire un souvenir de glace impertinent
libérée la montagne est une pirouette
les aigles justiciers dessinent un grand V
sous le soleil vitré miroir aux alouettes
je ne veux plus marcher sans savoir où je vais
comment abandonner l'humeur partie en vrille
l’inconscient devenu mise en abyme et feu
je veux du beau du vrai je veux des yeux qui brillent
ne plus être un vain chiot qui court après sa queue
peut-être un jour prochain finiront les méandres
du désordre naîtra un nouveau monde tendre
où l’on pourra enfin se reposer en paix
nous nous endormirons à l’heure où tout est calme
les autres animaux se cacheront dans l'ombre
des chants de halage surgiront des remparts
l'océan apaisé hissera sa pénombre
et les bateaux joyeux leurs voiles du départ
malgré tout
malgré la folie des hommes
la fin des embrassades
et des câlins furtifs
malgré le regard méfiant planétaire
l’automne est venu sans se presser
les feuilles du chêne roux me narguent
le liquidambar a fini par rougir
l’acacia a pris sa forme squelettique
ce n’est pas encore de l’espoir
c’est une lueur dans la lourde brume
des esprits martelés par l’angoisse
le temps me dit qu’il est plus fort que moi
bah je le savais déjà
mais je l’avais peut-être oublié
déboussolé et perdu
dans la contagion prégnante des corps et des cœurs
dans l’éternité apparente de la maladie
j’ai peur de mourir dans d’atroces souffrances
et de laisser en plan tous ceux que j’aime
alors je regarde le chêne mur et je souris presque
malgré la pesanteur des jours morts
malgré l’incohérence de la parole inutile
et doucement en respirant je me dis
que je reverdirai comme lui
je voudrais écrire
les plus belles pages du monde
que le monde lirait
en pleurant un peu
mes pages seraient pleines
de tristesse et de beauté
le beau est toujours triste
quand il est intouchable
au bout de la tristesse
entre les lignes poindrait
une faible lueur d’espoir
ne pas mourir tout à fait
je parlerais de l’amour
trop fort débordant
en vagues sur les rochers
blanchis d’écume
des désirs non accomplis
du renoncement
rogneur d’âme qui tient
éloigné du but
je dirai la mer
et son horizon
et les oiseaux verts
là-haut qui s’en vont
je dirai l’envie
d’être un autre
que cet empêtré
dans la lourdeur des choses
dans mes pages je volerais
fièrement librement
sur ma vie sans frontières
mon passé sans cadran
je parlerai des yeux
qui m’ont rendu fou
et du dernier regard
porteur du noir infini
je parlerai du temps perdu
qui fuit lentement
comme un goutte à goutte
du sang des gens
des mots qui se croisent
sans s’entendre têtus
comme deux rivières
refusant de confluer
du soleil aveuglant
qui fermerait les yeux
cédant à la chaleur
des formes emmêlées
je parlerai du corps qui s’abandonne
dans sa nudité offerte
sa peau un fruit rouge
à croquer délicatement
dans la foison de mes pages
on verrait plein de tableaux
à contempler longuement
comme une source de vie
les mots sont si faibles
menteurs réducteurs
la peinture est le parangon
de la création humaine
je voudrais que mes mots
se lisent comme un tableau
une musique symphonique
une matrice de liens
je voudrais écrire l’océan
des plus belles pages du monde
pour que le monde y plonge
s’en nourrisse et renaisse
l'homme nu
temps de pluie
le temps gris a revêtu son manteau de pluie
un souffle glacial transperce les arbres nus
hanté par tous ces squelettes froids et blanchis
le paysage se mue en tombe ténue
sur les vitres tachées de mille perles sales
les sons ricochent dans un ballet sépulcral
fronçant les épaules les passants se rencognent
comme s'ils pressentaient un mauvais coup du sort
même les animaux refusent la sortie
croupissant terrés chez leurs maîtres indécis
ce n’est pas le temps des cris des pleurs ni des larmes
ni celui des grands malheurs de la fin des âmes
c’est juste le temps de la tristesse sans âge
où l’on espère encore un monde réchauffé
par un timide soleil dont le premier trait
percerait sa route dans la mer des nuages
ah si quelqu’un soudain se mettait à chanter
un chant nouveau pur comme si de rien n’était
charmé le monde entier l’entonnerait en chœur
et la pluie étonnée arrêterait ses pleurs
voir mise en scène en récitation musicale "Poésique" dans Galerie Amavero, Poésie de l'Art et instagram.com/lucfayard.poete
rage
fureur
mal de vivre
vieillir
se taire
ruminer
si peu d’envies
rien à croire
et puis
revivre
tout à coup
ciel auroral bariolé
phrase ciselée
regard bleu du désert
se dire
qu’on n’est pas encore mort
renaître
au coin d’un bord de mer salée
descendue si loin
déshabillant grèves et rochers
sous un ciel à étages
d’une infinité de gris
crise narcissique totale
tous ces gens
ces lieux
ces objets
ces idées
sans intérêt
ni passion
ni avenir
prégnance de la banalité
parole libérée
parole parasite
parole inutile
je voudrais du silence
longtemps
longtemps
se taire
ne pas se plaindre surtout
faire semblant de sourire
que personne ne sache
que la peine se cache
et puis
continuer de rêver
se perdre dans les sens et l’indicible
chercher partout la beauté
trouver ce qui surnage
un tout petit bleu
dans la vie grise
se dire
que ce n’est pas encore fini
l'eau qui te sauve
le jour l’incolore
les mots résonnent vides
comme des falaises guettant la mer
où de grands rochers muets
camouflent leur récit
te laissant seul
face au néant
même les chiens errants
marchent l’œil triste et bas
quand tu es sombre et las
tu n’as rien à pleurer
ni à regretter
rien à oublier
tassant les reliefs du passé
ta vie s’étale plaine rase
fatal désert de la banalité
et puis
de très loin
lentement
fantômes errants devenant réalité
l’odeur douce d’une peau caressée
une flèche de lumière dans les nuages percés
des taches s’élargissant en bleu et blanc
pour colorier un nouvel univers
alors
les cônes de pluie s’éloignent
la tristesse se dissout dans les limbes
et surtout
ton cœur bat
quand tes pieds nus se crispent sur le sable
tout revient
dans une bouffée submergée de sens
exquise tiédeur
mécanisme huilé de la pression
talon plante orteils
pointillisme de la texture
plaisir inégalé de cette marche unique
éphémère
la longue trace de tes pas
bientôt couverte par la mer
as-tu remarqué
c’est toujours l’eau qui te sauve
le souvenir de son odeur salée
le cycle du roulement de la marée
l’écume qui point avec le vent
il suffit que tu songes
à une plage nue d’hiver
sur le relief breton
pour que tu plonges
et t’immerges sans raison
dans le non-dit de l’enfance
à nouveau tu avances
à nouveau tu espères
jamais seul
quand survient un berger en mobylette
cherchant quelques chèvres
disparues pendant sa sieste
ensemble nous avons pris le thé en riant
je suis seul sur mon bateau
dans l’atlantique alizé
quand je croise un grand voilier
en course autour du monde
j'ai la priorité mais je le laisse passer
je reçois le salut des équipiers
je suis seul dans la forêt ronde
quand je vois un écureuil
effrayé par un chevreuil
effrayé par moi
je pars sur la pointe des pieds
mais le mal est fait
je suis seul sur la page blanche et rose
quand les mots viennent et me sauvent
je suis seul dans la foule dense
et je le suis resté longtemps
jusqu'à ce que reviennent ces moments
qui me disent la même chose
dans ma vie d’actes et de pensées
plus jamais seul je serai entouré à toute heure
de mes souvenirs autour du coeur
et de mon passé entrecroisés
comme un son de renaissance inédit
aura stoppé d’inutiles marées
quand les sourires se seront lassés
d’avoir créé ce monde vide et plein
quand la fin de l’amour aura tendu
son manteau ouaté sur les âmes nues
quand la poussière suspendue en l’air
aura révélé de nouveaux mystères
quand la course du ciel sera courbée
par le poids des remords et des regrets
quand les nuages auront dit au monde
voici l’ultime ronde vagabonde
quand les collines là-bas et les monts
auront tourné leurs obliques rayons
vers d’autres esprits objets et regards
que ceux des hommes lisses et hagards
je me tairai mes mots n’auront plus d’âge
ni mon cœur ni mon âme de courage
peut-être alors rompant le non-dit
tintera le chant d’un nouvel héraut
prolongeant son air d’écho en écho
comme un son de renaissance inédit
encouragé par lui on pourra
relancer la course des nuages
faire retomber poussière et vent
redresser la tête des montagnes
libérer le ciel en mouvement
caresser la mer et son tangage
et c’est ainsi que nait la nouvelle ère
abrupte qui renverse les chimères
vieillir heureux
cri
aucun son ne sort
comme dans le tableau mille fois repeint
je voudrais pleurer mille larmes de mon corps
mais où sont-elles
la source est tarie
printemps
exhalant de ses rangs des odeurs lourdes et grasses
le vert multiple des jeunes tiges de blé
les ordonne en soldats d’une absolue armée
algues palissades roseaux coupés courts
à des centaines de kilomètres de la mer
le cri des mouettes s’égare dans les champs
le silence apaise un après-midi sans vent
où tout renaît et tout se fige
ll ne fait ni chaud ni froid mais un degré spécial
celui de l’attente et de l’espoir
il est temps de quitter les jours gris en chemin
l’homme secoue son joug de tristesse égarée
sa tête se relève et ses grands yeux plissés
portent le reflet de la lumière qui vient