la porte du tableau
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants
dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle
grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare
suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi
et le frisson de l’âme nue
nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues
suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final
étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir
Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô
Texte de Luc Fayard, voir la mise en scène dans Galerie Amavero, illustré par l'oeuvre de Mimi Svanberg et celle de Xia Gui.
Poème deux fois primé : paru dans L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022 et Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022/
oublier le temps
comme un moteur chaud
à soubresauts incontrôlables
mi horloge mi comptable
et toujours à contre-temps
c’est comme si
au lieu de frémir
l’eau courait tel un zèbre
qui se tortille et se cabre
au lieu d’aimer
le cœur emballé froissait
les souvenirs pêle-mêle
dans un grand tintamarre
au lieu de s’élever dans le ciel
le nuage aplatissait sur l’horizon
ses formes alanguies
c’est comme si
au lieu de pousser la vie
le vent jouait avec les feuilles
pour les énerver
et ça monte et ça descend
et ça part en vrille
comme le fait ton âme
avec tes sentiments
coincés dans la grille
de tes préjugés
le temps maître de l’univers
implose sans bruit
noircit comme un orage fou
fuit avec la pluie
se lisse paresseusement
tu es pris au piège
de l’avant-après
rien n’existe sans lui
même pas la poésie
ni la mémoire
tu voudrais l’arrêter
profiter de l’instant magique
il te glisse entre les doigts
tu voudrais avancer
franchir une étape
il te bloque sans préambule
à un carrefour cornélien
où tu resteras interdit
prisonnier de ton petit corps
dans l’interminable indécis
qui va de la vie à la mort
n’écoute pas les faux maîtres du temps
vendeurs de vent
la solution existe
secrète et fluide
fais silence
entre au fond de toi
ne pense plus à rien
respire
et quand tout sera
calme limpide
tu auras oublié le temps
Texte de Luc Fayard illustré par Silence of the Ravine, d'Ethel Walker; voir Galerie Amavero; voir aussi sur instagram.com/lucfayard.poete
NDLR: Une femme nue pour illustrer la contrainte du temps et la nécessité de s'en libérer, pourquoi pas? Il y a dans ce tableau un calme intemporel, une attitude de contemplation, de libération, de pause dans le temps, de beauté pure et intemporelle.... qui vont bien je trouve avec le texte...
enfance
cet esprit d’enfance
pétillant d’impertinence
croire impassible
des infinis possibles
s’asseoir persuadé
que le monde guette
sentir le vent
ébouriffer sa vie
poser là
son évidence
sa vérité
crue et nue
laisser passer les rêves
dans ses yeux mi-fermés
sans se lasser
en oubliant le temps
l’enfance est sans horloge
sans apparat ni toge
et dans une moue sans rire
montrer qu’on existe
pour le meilleur de l'artiste
et jamais pour le pire
Texte de Luc Fayard inspiré par la sculpture Plume (bronze, 39x28x14cm) de Valérie Hadida. Voir mise en scène dans Galerie Amavero.
miroir
le reflet de la barque
et des femmes en chapeau
symbole pur
du monde à l’envers
miroir presque parfait
d’un idéal atteint
les poses entre attente
lassitude et concentration
arrêtent le temps
peu importe
ce qu’il va se passer
c’est ce moment parfait
qui compte
thé oriental
doucereux
geste délicat
guidant la parabole
a stoppé le temps
soupir
cachant des lieux secrets
les vagues languissent
ou s’abattent en furie
l’horloge n’égrène pas ici
les mêmes secondes qu’ailleurs
la mer se fond à l’horizon
on dirait un soupir
qui dégusterait son bonheur
l'arbre dit aux maisons
vous voyez la mer là-bas
elle vient vers vous
pour vous envelopper
de son odeur salée
ici la lumière étincelle
le vent est un allié
quand le soleil s’invite
le temps paresse
et le sourire des gens
se plisse et rêve
alchimie
ou de l’âme qui erre
sans soleil
c’est pareil
seule solution
voir toutes les routes
s’ouvrir en même temps
prendre son temps
choisir son destin
sa voie dans les étoiles
créer un point de plus
qui brillera dans le ciel
neige (1)
elle est baguette de fée
qui transforme le paysage
en voile de prière muette
voix vers le silence
tout se cache dans l’attente
ce qui reste apparent craint
neige épaisse fil d’ariane
reliant la terre et le ciel
l’homme et son âme
l’espace et le temps
pendule
pendant que le tic-tac las du temps remplit l’air
de douleurs de murmures et de corpuscules
qui s’enfoncent avec précaution dans la terre
petite fille qui roule au bord d’un abîme
pendant que l’écume mousseuse se retire
des rochers et que des arbres à haute cime
se balancent au vent comme un immense rire
souffle rauque des marées qui bat la mesure
pendant que l’air purifié nettoie les nuages
désertés par les mouettes aux frêles allures
qui se jouent en riant d’un ciel bas sans images
limbe
d'ici je vois le tertre lourd
ses vies vivant un vain calvaire
la pluie gifle l'hiver en verre
l'if araignée ne cache plus
ses ailes bravaches poilues
le tilleul griffe un ciel en vrac
le train train dingue fend l'ubac
je vois le temps qui se délace
jamais je ne suis à ma place
je n'ai pas de présent qui m'aille
passé futur fétus de paille
c'est la minute où tout bringuebale et languit
tout s'arrête de penser le silence crie
je voudrais un océan d'âme vide et lent
portant le limbe d'olympe en fier firmament
les yeux fermés je voguerais sans un murmure
sans vague ni repos le cœur mûr enfin pur
personne ne sonnerait l'annonce demain
la vie moelleuse serait désunie sans fin
peut-être même se mettrait-on à pleurer
au poids des souvenirs lancinants arrimés
livrant sans fard leur vieux fantôme au dôme d'or
magique et transparent sous lequel on s'endort
miroir de la montagne
pentes bienveillantes à la longue blancheur
et ce silence or et bleu nappant les hauteurs
hantées d'aigles et de gypaètes seulement
là les couleurs et les mouvements se répondent
et se mêlent pour créer de nouvelles vies
de nouvelles formes et là de nouveaux cris
la nature n'est pas un temple elle est une onde
c'est le pays de l'âme aux deux penchants
celui des crêtes aigües noires et hautaines
qui défient les siècles et les vents
et un peu plus bas celui des courbes molles
qui sans cassure s'étendent langoureusement
la montagne est un miroir dans le miroir
vers le bas les lignes fusionnent et bourdonnent
vers le haut elles s'écartent et se taisent
la vallée absorbe tout dans son cirque
sur la neige il ne reste que le crissement de ton pas
rythmé par ton souffle étonné tendre
quand tu vois les traces de l'oiseau cendre
et que tu pleures ce qui se vit sans toi
les faitages des chalets créent des lignes brisées
qui se répètent comme un dessin d'enfant
fragiles hirondelles sur un fil crispé
vers l'adret les couleurs du bois s'avancent fièrement
et jaillissent de la forêt tels des avant postes
chacun niché sur son promontoire
au village le clocher bariolé proclame sa joie
les rues aussi ont une double nature
elles lancent des flèches vers l'horizon butant sur un mont
ou créent des entrelacs de mystères accolés
la force de cette unité vient de la multiplicité des plans
voici l'avant et l'après voici la nature et voici l'homme
voici le combat et l'harmonie la rage et la prière
ici on ne se perd pas on avance d'un pas ferme
le visage est celui de la terre et des roches
aussi tailladé aussi brun qu'elles
le sourire ressemble à la musique des rivières
l'éclat des yeux éclaire plus loin que toi
ici les gestes anciens ne sont pas oubliés
ni le passé des hommes acharnés
ici le temps ne s'arrête pas il bat
le tempo des pays éminents
où la lenteur est un art de vivre
où chaque pas compte comme une offrande
et si le soupir vient
un regard haut l'éteint
ici le temps respire au rythme des couleurs
et quand l'ancolie refleurit
l'homme s'ébroue et revit
la montagne est un miroir du bonheur
tic-tac
tendre et rose et vert
les chemins se croisant
on se hélera d’une route à l’autre
en souvenir du temps
des longs sentiers creux
on marchera cote à cote entonnant
des chants d’amour et d’amitié
mais le temps ne s’arrête pas
il faut continuer de bâtir
pour parer les attaques
de l’horloge de la vie
tic-tac tic-tac tic-tac
karakoum
un vent qui secoue les arbrisseaux malingres
le soleil coiffant tout comme un chapeau
et la piste qui court et s'efface
la vie est un désert de karakoum
avec son cratère qui fait boum
son canal large et droit survolé de buses infidèles
et l'éternel pêcheur venu de nulle part
la vie est un désert de karakoum
jaune sale et vert pâle
avec ses couleurs pas franches
tout est long et lent insaisissable
comme le sable
la vie est un désert de karakoum
sans ombre ni relief
le temps s'endort et rêve
rien ne finira jamais
la vie est un désert de karakoum
peuplé d'histoires cruelles
et d'espoirs sacrifiés
et l'homme avance
malgré tout
temps de pluie
le temps gris a revêtu son manteau de pluie
un souffle glacial transperce les arbres nus
hanté par tous ces squelettes froids et blanchis
le paysage se mue en tombe ténue
sur les vitres tachées de mille perles sales
les sons ricochent dans un ballet sépulcral
fronçant les épaules les passants se rencognent
comme s'ils pressentaient un mauvais coup du sort
même les animaux refusent la sortie
croupissant terrés chez leurs maîtres indécis
ce n’est pas le temps des cris des pleurs ni des larmes
ni celui des grands malheurs de la fin des âmes
c’est juste le temps de la tristesse sans âge
où l’on espère encore un monde réchauffé
par un timide soleil dont le premier trait
percerait sa route dans la mer des nuages
ah si quelqu’un soudain se mettait à chanter
un chant nouveau pur comme si de rien n’était
charmé le monde entier l’entonnerait en chœur
et la pluie étonnée arrêterait ses pleurs
voir mise en scène en récitation musicale "Poésique" dans Galerie Amavero, Poésie de l'Art et instagram.com/lucfayard.poete
temps flou
se dissout se disloque s’effiloche
je ne sais plus qui il est
à quoi il sert
il s’évapore sans bruit
vidant sa substance
avant tout était simple et horodaté
l’homme maitre de l’espace-temps
aujourd’hui tout est flou et mou
quelle heure est-il tout le monde s’en fout
il fut un temps
où le temps n’existait pas
puis quelqu’un l’a inventé
pour le confort des hommes
ce qui se passe en douce
ce signal vicieux
qui échappe au monde
cette métamorphose cosmologique
l’irréversible impulsion
vers l’impermanence des choses
le retour aux sources
les objets sans forme
la fin de la dualité
je devine sans l’admettre
l’incroyable vérité
le temps virtualisé
le problème c’est moi
je ne veux pas être impermanent
dissous dans la vacuité
ni mes passions mes envies mon ego
un combat inutile se livre en moi
perdu d’avance
ma chair mon âme mon esprit
contre l’unicité du vide de l’univers
quelle absurdité
mais non tout n’est pas fini
je me dépêche d’écrire
pour qu’il reste une trace
avant que cette implosion
ce big bang à l’envers
n'emporte tout dans le torrent
d’un trou noir irréversible
la fin de la mémoire et du temps
pleutres adorateurs
de l’évolution naturelle
un jour
je créerai un courant contraire
celui de la douceur et de l’amour
des discours et de l’enchantement
sans chichis ni honte
rythmé de rendez-vous réguliers
que personne ne pourra manquer
car ce jour-là
tout le monde portera une montre
arrête le temps
décor fendu
figurines ridées penchées vers l’avant
cheminant côte à côte lentement
les vieilles femmes longent les murs
les reptiles s’interrogent et s’évadent
les frondaisons épaulées
se dressent contre l’histoire
les caresses anciennes restent vives
qui peut les oublier
les lignes de fuite se croisent
comme des destins
griffant des ronds incertains
de lumière d’ombre et d’ardoise
le décor s’est fendu
il faut tendre la main
vers l’invisible le nu le silence
la vie est un tamis sans pépites
ni archanges
rien que des grésillements
creuset mêlant
des visages qu’on n’oublie pas d‘hier
des palmiers de nostalgie plein le cœur
la cloche égrenant un air dur et fier
le décalage en harmonie couleurs
animal maladroit
on saute de pierre en pierre
jusqu’à l’horizon
alors qu’on se voudrait poisson
fluide et optimiste
plongeant dans les cercles infinis
de la mousse à l’abîme
on susurre de tout petits mots
fragiles mal choisis
alors qu’on désire l’embrassade
les cris la folie
l’accolade
sur la table jaune et lisse
la dame du flamenco prend la pose
là-bas le bois attend d’être coupé
là-haut le vieux nid se défait en bribes
le temps ne s’arrête pas il se démultiplie
en d’interminables pauses
à chaque moment son sujet
dans la cour le vieux banc rouillé
parle avec le vieux banc de pierre
des moments de marbre et de fer
chacun se souvient du passé
chaque tache conte une histoire
pleine d’orage et de tendresse
on sent l’amour et la tristesse
flotter sous la surface noire
sous celle de mon cœur aussi
espace creux
il se dilue se déforme
le temps coule chaotique
dégoulinant d’une montre molle
le soleil sourit satisfait
comme un projecteur de cinéma
seuls les oiseaux chantent
profitant du vide absolu
laissé par nos âmes statues
l’angoisse plane
on se croit malade
on n’est que pantin pitoyable
on ne rit plus c’est indécent
le monde entier oublie ses gestes tendres
transformé en robot appliqué
on s’en souviendra forcément
de ces gens croisés
la tête basse sur le côté
craignant le miasme errant
de ces frôlements évités
de ces embrassades retenues
la mémoire mise à nue
le monde entier ne baise plus
pas prononcé pas pensé pas fait
le mot amour effacé de nos écrans
quand la vie reviendra
on ne saura plus quoi se dire
on sera niais et gras
le sourire béat
j’irai pleurer dans la rue bondée
cherchant un visage à caresser
mais on fuira le pestiféré
je crierai vous avez oublié la respiration
maintenant il est trop tard le mal est fait
ce n’est pas la maladie qui a gagné
ce n’est pas le virus qui vous a tué
vous individu société nation
c’est le manque d’ambition
temps pluriels
s’est envolé
il a volé
derrière la glace
nos lourds regrets
le temps qui pleure
souffre et remplit
de nostalgie
nos longues heures
d’analgésie
le temps peureux
veut effacer
le fil tressé
du temple heureux
de nos pensées
le temps agite
les troubles eaux
où nos bateaux
prennent la gîte
un peu trop tôt
le temps s’excuse
d’avoir si vite
tué nos mythes
et il s’amuse
de nos vieux rites
le temps se fige
le temps se givre
le temps est ivre
le temps corrige
le temps qui vire
le temps se lève
de la révolte
la virevolte
et toi belle ève
débranche les volts
ô temps suspends-
toi, non pends-toi
flagelle-toi
meurs sale temps
et oublie-moi