Affichage des articles dont le libellé est pensée. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est pensée. Afficher tous les articles

qui parle

quel est ce chemin 
sinuant de l’esprit à la phrase
cette invisible alchimie 
transmuant une impression confuse 
en envie de dire 
puis en suite grammairienne 
de mots aléatoires
objets complexes par définition
puisque signifiants et signifiés

qui parle pour moi
le cœur l’âme les sentiments 
la mémoire l’enfance
voire les préjugés les racismes ordinaires 
les blocages l’inconscient le rapport à la mère 
ou tout simplement l’amour la haine
en tout cas ce n’est pas la raison
c'est rassurant

pourquoi tel mot me vient en tête 
plutôt que tel autre
est-ce que sonnant mieux
je le crois plus vrai 
conforme à ma vision
ce que j’écris dépend-il 
de mon humeur du moment 
ou bien d’une inclination profonde
qui serait la marque de mon être

en quoi mon vocabulaire 
de crabe aveugle 
peut-il m’aider à peindre 
l’essence des choses 
comment ma révélation maladroite 
de l'univers étroit de intime 
pourrait-elle prétendre à l’universel
et surtout quel est cet enchantement 
qui donnerait à ma construction 
hasardeuse et personnelle
la volonté imparable 
d’un parangon de beauté

quand je commence une phrase 
sais-je vraiment comment la finir
et quand je débute un texte 
en connais-je déjà la chute 
se pourrait-il donc 
que cette maturation ontologique
ne fût que simple hasard 
rencontre improbable
entre l’homme et son contexte
à conclusion déterminée
par la chimie des neurones 
et de l’estomac

dans ce monde en berne
une chose est sûre
le reste balivernes
quand j’ai cueilli fruit mûr
de ce monde en berne
ce texte lourd et gras
je n’avais pas décidé 
qu’il se terminerait
par le mot estomac

Texte de Luc Fayard, illustré par le tableau Constructive composition ,  de Joaquim Torres Garcia – 1943 
Voir la mise en scène dans Galerie Amavero (lien dans profil instagram) https://galerie.amavero.fr/2024/06/qui-parle.html et dans https://instagram.com/lucfayard.poete

nuages de lune

il marche la tête vide et pleine
ses pensées vont et viennent
comme des nuages de lune
les images se suivent
en procession furtive
la vie dispersée en brume
les mots encore absents
les couleurs autour de lui
la fausse nuit d’un nouvel automne
l’air dispense ses murmures
il sourirait presque
de tous ces possibles
futur moins conditionnel
lumières de bonheur
malgré l’absence du ciel
mais dehors et dans son cœur
il marche dans le brouillard
dans les poches de son manteau
profondes comme des cavernes
les deux poings serrés sont si fermes
qu’ils pourraient tenir des marteaux

Texte: Luc Fayard
inspiré de:
Silence d'Or, de Sophie Roccco - 2023 - pigment et liant sur toile - 100 x 100 cm - son instagram

promenade

je me promenais
sous les couleurs
éclatantes
des frondaisons
les arbres se voûtaient
pour abriter mes pensées
je marchais sur les tapis
teints de l'orient
doux comme le tamis
des souvenirs anciens
la journée s’étirait
en petits carrés d'infini

masques et signes

c’était un temps
de masques de signes
le monde magique
oubliait l’avant l’après
on se parlait sans mots
de pensée à pensée
la nature guidait
les gestes des êtres
qui doutaient encore
de l’union parfaite

pensées

jamais fleur
n’aura si bien porté son nom
on s’y perd on rêve
douceur et délicatesse
si c’était possible
on rêverait avec élégance
quel bonheur
pouvoir se poser
profiter pleinement
de cet instant magique
avant que le temps
ne reprenne son cours

pensée errante

ma pensée part errante
avide d’assouvir
ses lubies d’asservir 
sa chimère aberrante

elle vaque intrigante
toujours prête à servir
son ardeur pour gravir 
toute pente insouciante

vif un son vient percer
mon rêve dispersé
le réel me fait face

dur un monde insensé
force mes yeux baissés
ma pensée s’éteint lasse

Texte de Luc Fayard. Voir et entendre la récitation musicale mise en scène dans Galerie Amavero

pierre grise plate statue

la pierre grise est la plate statue
portant en sacrifice un scorpion mort
là-bas l’enfant joueur sourit encore
ses bras arrondis cerclant l’arbre nu

tu rencontreras ainsi tant de vies
qui s’exposeront sans voile pour toi
guettant impatiemment que tu sois là
pour lever leur rideau de comédie

marcheur solitaire tes pas t’élèvent
plus haut que le monde aux mille visages
tu deviens une abstraction moine sage
énigmatique maître sans élève

pas de méditation juste la marche
instinctive et méthodique allurée
les arbres protègent ton avancée
de penseur libre serein patriarche

pour toi la nature n’est pas un temple
elle est un rêve vif allégorie
où tu pourras suivre tous les génies
sans paroles sans bruits sans gestes amples

les fantômes gris de l’humanité
te donnant la main pour former la ronde
tu vas goûter la vibration du monde
née il y a plus de cent mille années

tu t’es arrêté tu danses tu erres
tu ris tu tressailles tu virevoltes
soudain tu te réveilles sans révolte
simple marcheur sur un chemin de pierres

oubliez-moi

grandiose
sublime
définitif
j’accepte de mourir
bien obligé hein
mais attention 
sans souffrir
ni finir gâteux
eh pourquoi pas
quand on désire très fort 
quelque chose
et que ça se produit
qui peut prouver 
d’où viennent
ce hasard télépathique 
ce miracle biologique
cet esprit œcuménique
qui sait

dans ces conditions calmes
mourir sans état d’âme 
ne serait rien d’autre
qu’un passage obligé
imperceptible changement d’état
une fois je respire
une fois je ne respire plus
à peine si l’on voit la différence
quelqu’un dirait tiens il est mort le vieux
comme s’il disait tiens il pleut
personne ne pourra discerner
ce grain de sable envolé
dans la tempête cosmique

seul souci
je ne veux pas faire de peine
à ceux que j’aime et qui m’aiment
à ceux-là je dis
oubliez-moi
vous allez voir
c’est plus facile qu’on croit
et rapide
oubliez-moi
un peu plus chaque jour
où que je sois
l’oubli tranquille et progressif
seule solution à la vie après la mort
oubliez même
que je vous aime
si mal d’ailleurs
que ça n’en vaut pas la peine
oubliez mon visage et ma voix
fragiles fusibles de l’être
oubliez mon âme aussi
incongrue sans relief
si peu inoubliable
mots volatiles
émois dociles

quand je serai mort
mon être sera
sans importance pour vous
soit il vivra sans vous
soit il n’existera plus
mais vous n’en saurez rien
oubliez les moments vécus ensemble
créations de l’atomique hasard
oubliez-moi 
de haut en bas
de dos de profil de face
oubliez-moi
sans effort
avec le temps qui efface
les minuscules traces
et quand vous m’aurez oublié
vous verrez
vous vivrez mieux
sans vous poser la question
de savoir si j’existe encore
quelque part

quand je serai mort
j’aimerai vous dire où je suis
je vous dirai
que je vous aime encore
que c’est vous 
qui m’avez fait exister
vos pas
votre souffle  
vos bonheurs
et même vos souffrances
qui devenaient les miennes
je n’aimerai pas mourir
sans avoir dit aux gens que j’aime
que je les aime
j’aimerai vous dire 
là-bas
dans cet ailleurs inconnaissable
que je pense à vous

mais du néant c’est difficile
et sinon
si jamais je pouvais vous parler
je serais sans doute surveillé
par un vieillard grincheux
comptable pointilleux
de mes grands et petits péchés 
quel ennui mon dieu

mes amis
un dernier mot
celui-là ne l’oubliez pas
même si vous devez oublier 
qu’il vient de moi
une expression tellement banale
qu’elle passera inaperçu
après tout ce temps perdu
je me sens moins nu
je sais enfin comment il faut vivre
moi-même je n’y arrive toujours pas 
autruche 
baudruche
mais je le sais
je le scande
il faut 
goû-ter l’ins-tant pré-sent
à tout moment
comme s’il était unique
sans après et sans avant
goûter d’un geste laconique
l’ici et le maintenant
du karma bouddhique
par essence par définition
le monde n’a pas de sens préexistant
c’est vous qui le lui donnez
respirez 
simplement
tissez vous-même
votre lien aux autres
devenez votre univers
en couleurs 
rose et vert
souriez 
c’est plus difficile
mais ça détend
faites le plein 
de l’instantané
je regrette tellement 
de ne pas l’avoir fait
pour moi c’est trop tard
un vieux ça ne pleure pas
ça geint
ça se souvient 
quand ça peut

je crois que je mourrai sans regret
mais pas sans peur
j’ai peur de la peur de mourir
je me vois essayant de me raisonner
si j’ai encore ma tête
voyons c’est simple
soit il n’y a rien et alors basta
paix aux morts et vive les vivants
soit il y a quelque chose
et ce quelque chose
prend tellement de formes inimaginables
foldingues 
énigmatiques
qu’il ne sert à rien de s’énerver

parmi les scénarios alternatifs
je me regarde et je me dis
peut-être pas tout de suite le paradis
mais l’enfer quand même non
ce n’est pas pour moi
j’opte pour la probabilité 
du purgatoire
en mesure conservatoire
mais combien de temps
on s’en fout
le temps n’existe plus
de quoi te plains-tu
homme veule et nu 

devant toi familière

devant toi 
familière
la grande ourse 
immense
t’attire 
invinciblement
dans ton dos 
la voie lactée
tombe 
en léchant la mer
face à toi 
le lever de vénus
l’incroyable éclat 
de jupiter 
star du ciel
pressée 
une étoile filante 
vient te saluer
et quand tu regardes 
vers le haut du mât 
le feu de ton voilier 
ajoute une étoile au ciel
les lumières blanches 
du plancton et des méduses 
défilent 
sous le bateau 
dans un ruban sautillant
tu ne sais 
si tu les déranges 
ou les attires
et puis
ce bruit mouvant 
du sillage 
sur la coque
à la fois caresse force 
et destin
l’écran glauque du radar 
et ses taches vertes
pour te rappeler 
que tu n’es jamais seul
l’horizon percé 
de points lumineux 
à décoder 
la mer noire
qui te cerne 
te porte et te surveille 
et ton regard 
qui ne sait où se poser
vers l’eau 
ou vers le bateau 
vers l’extérieur 
où vers l’intérieur de toi

sur le voilier O., nuit du 27 au 28 juin 2022, entre Minorque et Palamos. Hommage à L-M.B. et C. B.

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier