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credo non credo

jje ne crois pas aux rimes éternelles
à la vérité blanchie par les ans
aux serments ritournelles
aux adorateurs tremblants

je crois que rien n’est fini
ni certain
tout en devenir
même l’amour
je crois à la divine fragilité des mots
à la chaleur persistante du corps
à la jeunesse ardente
aux heures indécises
quand le jour assombri
ne sait pas encore
qu’il est devenu nuit

je ne crois pas aux danses infidèles
à la sagesse miracle 
derrière un paravent de lâcheté
aux souvenirs sépia
des émotions volées

je crois à l’intégrité de l’âme
reçue comme un don
mûrie par l’effort persistant
peuplée d’instincts
et de sensations

je ne crois pas au destin imposé
par la volonté imparable
d’une raison impératrice
tout est construit
par l’imagination

je crois à la force invincible
du cœur meurtri
à la parole de l’ami
perfusion de vie
au soutien des vents invisibles 
qui te maintiennent debout

je crois à un avenir
construit sans promesses
je crois en toi
malgré mes faiblesses

Texte: Luc Fayard
voir une mise en scène dans Poésie de l'art
et une autre dans @lucfayard.poete

tablettes

elles pourraient être
tant de choses
ces tablettes
quatre commandements
de la vie
que chacun définirait
carrés de l’esprit
cartes à tirer au sort
pierres à tiroir secret
points cardinaux réinventés
livres statufiés
ou plus simplement
tout cela à la fois

devant la vitre

vitre embuée
sur neige et glace mêlées
visage dans l’arbre
terre contre ciel
avenir en kaléidoscope
papier froissé
lettres cachées
naissance sibylline
d'un nouvel œuf
lignes verticales
autant de traces
pour avancer 
sous les nuages
sur le chemin 
de l’espoir

noires visions

hirondelles sur trois fils oppressées
notes de musique en croches serrées
lignes d'écriture ancienne inconnue
collier sas fin de cailloux sculptés nus
mystérieux message cryptographié
feuilles mortes tout en noir épinglées
enfantins dessins de maisons bancales
purs fantômes alignés gris et sales
traits denses brisés en haut et en bas
l’incessant ballet ne finira pas

pendule

nuées nues qui oscillent au bout d’un pendule
pendant que le tic-tac las du temps remplit l’air
de douleurs de murmures et de corpuscules
qui s’enfoncent avec précaution dans la terre

petite fille qui roule au bord d’un abîme
pendant que l’écume mousseuse se retire
des rochers et que des arbres à haute cime
se balancent au vent comme un immense rire

souffle rauque des marées qui bat la mesure
pendant que l’air purifié nettoie les nuages 
désertés par les mouettes aux frêles allures
qui se jouent en riant d’un ciel bas sans images

limbe

le brouillard bruit de timbres sourds
d'ici je vois le tertre lourd
ses vies vivant un vain calvaire
la pluie gifle l'hiver en verre

l'if araignée ne cache plus
ses ailes bravaches poilues
le tilleul griffe un ciel en vrac
le train train dingue fend l'ubac

je vois le temps qui se délace
jamais je ne suis à ma place
je n'ai pas de présent qui m'aille
passé futur fétus de paille

c'est la minute où tout bringuebale et languit
tout s'arrête de penser le silence crie
je voudrais un océan d'âme vide et lent
portant le limbe d'olympe en fier firmament

les yeux fermés je voguerais sans un murmure
sans vague ni repos le cœur mûr enfin pur
personne ne sonnerait l'annonce demain
la vie moelleuse serait désunie sans fin

peut-être même se mettrait-on à pleurer
au poids des souvenirs lancinants arrimés
livrant sans fard leur vieux fantôme au dôme d'or
magique et transparent sous lequel on s'endort

diptyque

on ne sait si la feuille 
hésitante
s’envole ou descend
seule sa pirouette se dessine
dans le matin levant
l’oiseau picore sans vergogne
la terre grise et noire
plusieurs soleils
s'élèvent en même temps
pour chanter la joie
du jour advenu
briseur de grisaille
et d’humidité nocturne
dans sa danse quotidienne

noir pour mourir

j’entends je vois la nuit
poignées à abaisser
volets de fer fermés
crissements nus des bruits

siffleurs de sphères vertes
marches blanches du pin
ronronnements urbains
branches nouées désertes

mats gris de parasol
arrière-plans mêlés
bleus blancs du haut lavés
chats glissant sur le sol

roulement lourd du train
cris du bas des maisons
fumées hélice en rond
carrés de vitres teints

puis les sons vont s’éteindre
les visions s’obscurcir
dans le noir pour mourir
je ne pourrai plus feindre

cercle infini de l'enfant

je suis
la fleur rougissante du soir
le vent sentimental et dense
le chevreuil campé dans le noir
la forêt plantureuse en transe

je suis
la pluie marbrée bue goulûment
le nuage arrondi en pleurs
le rêve du monde écumant
la voie de l’ange du bonheur

je suis
la vie sauteuse de barrières
le chuchotement indistinct
le mot où la pensée se terre
le silence brutal divin

je suis
la friction de dissentiment
la pierre sur quoi trébucher
le poisson limpide et gluant
le lac abyssal encerclé

je suis
le buisson de varech errant
la fourmi peureuse aux aguets
le papillon virevoltant
l’herbe consumée par l’été

je suis plus que chaque élément
je suis la chaîne reliant

la fleur butinée par le vent
le chevreuil dansant en forêt
la pluie des nuages pleurants
le rêve d’anges métissés
la vie qu’on voudrait chuchotée
le mot pensé plein de silence
le heurt de la pierre butée
le poisson du lac d’abondance
le varech cachant les fourmis
le papillon herbe de vie

comme un grand ensemble une roue
je suis l’enfant qui perçoit tout

porte du tableau

le temps souffle comme le vent
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants

dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle

grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare

suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi 
et le frisson de l’âme nue

nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues

suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final

étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir

Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô

(sélectionné pour paraître dans L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022; Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022)


réalité

je vois mon bureau l’écran la vieille fenêtre et sa vitre sale 
le trait de zinc impuissant à protéger la terre trempée 
je vois le buis rigide et fort les plates-bandes décharnées 
qui renaîtront pourtant une femme intrépide le sait 

je vois l’herbe vert et marron rase et bosselée 
la mare immuable désertée par les canards 
plus loin le saut du loup les champs et les forêts 
je ne vois personne dans tout ce paysage 

tapis les oiseaux pleurent les corneilles sont lasses 
les lapins s'emmitouflent le cul blanc apeuré 
et les sphères de la terre brassée par les taupes 
dessinent les toits aériens d'un labyrinthe caché 

puis je vois le ciel gris et noir qui prend toute la place 
le jeu des ombres sur la terre embrumée 
la lumière blanche transperce les nuages 
c'est bien moi le seul homme de cette vie animée 

je crée cet univers vibrant de mille souffles mêlés 
qui entrent en moi pour nourrir ma passion 
plan après plan tout n'est qu'extension 
je deviens herbe champ oiseau arbre forêt

l'herbe est un nuage

L’herbe est un nuage un bain de mousse et de bulles
Les arbres noeuds des sorcières préhistoriques
La terre une maison de rats trouée de taupes
Et quand la lune menteuse luit dans le gris
C’est que le jour et la nuit se sont mis d'accord

Je ne verrai jamais les choses comme elles sont
D’ailleurs les choses ne sont pas ce qu’elles sont
Elles seront ce que j’en dis ce que j'en distingue
Le champ est un prélude à la forêt la mare

Une invitation aux faucheux aux mangoustes
L’amour un sourire qui dure malgré tout
Les choses les gens deviennent ce qui les cerne

La filandre vole dans l’air jusqu’à la branche
Comme un cœur qui cherche son nid chaud tout là-haut
La nature n’est pas un temple elle est caverne
Peuplée de lumières floues et de bruissements
Qui la construisent la déchirent dans le vent

L’homme transpercé par les rayons et les larmes
Devient la cible unique de toutes ces vies
Et du vaste chaudron bouillonnant de son âme
Voici la vapeur des mots qui s’envole et fuit

Seul résistant à la noria des attaquants
J'esquive je fuis je crie ma haine mon bruit
Je serai le phénix de la fureur du verbe

indices

de sa fenêtre de train il regarde fuir
sous les nuages immobiles
les couleurs d’automne et les lignes
prairies et collines mêlées
arbres violets et toits rouges
devant lui tout est courbe
en bas tout s’en va
en haut rien ne bouge

il voit les ombres rases du soir
s'étendre comme une pieuvre
la pique soudaine d’un clocher
recevoir des offrandes muettes
il voit les frondaisons agitées des bosquets
lieux secrets d'amours inavouées
il imagine toutes ces vies violées
par son regard TGV
flèche éclair et magique
qui transperce des plans de vie successifs

il voit tout voyeur insatiable
il ne voit rien
à défaut de certitudes il s’accroche aux traces
dans les champs les arabesques des tracteurs
dans le ciel le V des migrateurs
et le coton blanc des avions
et puis ici et là dans un hasard organisé
la fumée qui fuit des cheminées
le pylône crucifié des fils électriques
les rambardes comme des rails
les rangées de serres
les filets déployés des arbres fruitiers
l’horrible usine et la vieille ferme
les silos cathédrales
et partout ces barrières infinies
il ne voit que des taches et de l’eau
des morceaux de vie des bribes

pas le temps de voir les hommes
trop petits à cette vitesse
on ne voit que leurs indices
et les animaux qui s’accrochent à la terre

et il pense alors aux indices de sa vie

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier