lièvre danseur
me demanda
veux-tu danser ma sœur
sans attendre il m’entraina
dans une ronde insensée
absurde endiablée
le lièvre danseur
est un fanfaron
il saisit toute occasion
de faire le charmeur
le fou la toupie
nous dansâmes ainsi
enserrés enlacés
toute la nuit
au petit matin frais
il agita son bras
et s’en alla
paradis perdu
longtemps
je me suis enivré des effluves magiques
issues d'un pays irréel et magnifique
mêlant les lignes vertes les arbres tendus
deux magnolias passagers un séquoia nu
les allées sableuses bordées de fleurs vivaces
les buis interminables et les herbes grasses
l'eau glauque de la mare où se perdait la pluie
le chant aigre et joyeux des oiseaux rouge et nuit
paradis d'illusion où vivaient durement
les jardiniers créant des beautés éphémères
inusables maillons de chaînes séculaires
chaque heure penchés sur la terre riche et âcre
auteurs de courtes morts et de petits miracles
répétant leurs gestes pour des temps incessants
dans ce lieu pourtant bien réel olympien calme
la lumière jetait une effraction bizarre
créée par les couleurs et les ombres mêlées
nappant d'une teinte étrange le paysage
elle peignait les bois de zébrure filtrée
impossible au peintre vivifiante pour l'âme
longtemps
après cette vie rare
évoquées d'une mémoire nébuleuse
les images défilèrent en se bousculant
dressant un long inventaire improbable
de lieux de sentiments d'instants insondables
vitres brisées de la serre miroir de vie
ample saut du loup qui n'aura jamais sauté
dernière porte au vert sombre infini
barre noire de la forêt qui vous appelle
balançoire qui porta ses gamins bercés
potager rangé des gens heureux besogneux
marronniers alignés dans une courbe douce
cheveux au vent d'une jeune fille à cheval
jaunes champs accueillants les blondes d'aquitaine
immense if parapluie aux longs bras de sorcière
et que dire encore de tous ces caractères
l’insolite apparence des murs
les reflets ronds des fenêtres
les pentes aiguës des toits
la fierté des cheminées
les persiennes bleutées
les allées nichées sous les frondaisons ventées
et partout ces verts et tous ces gris
dans ce lieu béni
où se croisaient espoirs et tempêtes
tout finit en harmonie en vibration
accords soignés plaintes secrètes
à travers le temps et les générations
tout restera
assidûment incrusté
écrit en ribambelle
dans l'air vieilli par l'histoire
dans le vent de la plaine et des forêts
dans la terre et la poussière
dans le cœur des mères et des amants
dans l'ombre choyée des enfants
chantant en ritournelle
ici tout se nouait
entre âme et nature
la clarté et les sourires
les ombres et les soupirs
la pluie et les larmes
le soleil et les drames
la nuit et la noirceur
les racines de la terre et du cœur
les multiples origines de la fusion
ayant enfanté ce monde à part suspendu
où même le soleil et la lune
pouvaient nous murmurer des mots doux
alors au dernier souffle de mon dernier soupir
quand j'aurai vécu de nombreux destins
pouvant retenir de mes nombreuses vies
tant de sommets et quelques abimes
un seul instant me viendra à l'esprit
celui-là insensé terrible
où je tournai le dos au paradis
comme dans un flash-back au ralenti
le moindre détail me reviendra
la porte grinçante se refermant sur mon passé
la descente de l'escalier marches de tombeau
le bruit mécanique du dernier tour de clé
le silence soudain voilant la scène de son halo
dehors dans la cour mes pas broyant le gravier
la feuille morte chassée du pied
la grille que je repoussai dans son cri
ma main tremblant sur le portail gris
et mon dernier regard qui tout embrassa
comme si ma vie allait s'arrêter
pour écrire en lettres de sang
le mot fin sur un écran de cinéma
ce jour-la pourtant j'ignorais
que vivant dans un riche présent
je porterai comme une offrande
ces images et ces souvenirs
et que dans le cumul des années
submergé par le flux des nouveautés
je vivrai ma deuxième vie
sans remords ni regrets
juste l'infini de la nostalgie
voile transparent
La dernière fois où sa poitrine s’est soulevée
Je n’aurai jamais imaginé cela
Et malgré tous nos débats nos conflits
Malgré surtout l’attente vaine et le non dit
Un voile gris s’est abattu sur ma vie
Les gens les objets les paysages ont perdu du relief
Vivre est devenu un film en sépia
Où les couleurs ont fondu
Comme dans un tableau de Turner
Comment supporter le poids de l’invisible
Marcher dans un monde sans liesse
Où le rire se fend
Où le soleil se rend
Vous rêvez au ralenti dans des rues inconnues
Sans savoir où aller
Parfois vous reconnaissez quelqu’un
Sans pouvoir lui parler
Que dire
La douleur givre et vous pétrifie
Longtemps la situation sera figée
Dans cette vie atrophiée
Puis la renaissance viendra par les sons
Chaque jour ils seront plus nets et les contours aussi
Vous marcherez plus vite dans des rues connues
Aux visages amis vous direz bonjour
Gaiement sans retenue
Le voile sera chaque jour plus transparent
Et enfin un beau matin le soleil est là
L’invisible n’est pas remplacé
Il s’est installé dans votre cœur
Et vous vivez avec lui en lui souriant
Avec lui se sont éteints
Les regrets les reproches les jugements
Il ne reste que l’amour
Il ne reste en vous
Que du beau du chaud
Du doux du lisse et du fluide
Le temps est une merveilleuse machine
A magnifier le passé
Et c’est tant mieux
c'est surtout quand elle penche la tête
sur le côté
légèrement
un décalage dans la position
qu’il devient fou
dans le mouvement
ses cheveux déjà longs
tombent un peu plus
et ses yeux sombres
se plissent
avec un point d’interrogation
niché tout au fond
il suffit
qu’elle ait ce millimètre de geste
pour que son cœur vibre fort
il n’entend ni ne voit rien d’autre qu’elle
auréolée de sa grâce lumineuse chantante.
mon ami
si tu n'as jamais connu ce moment
tu n'as rien vécu
et tu peux aller pleurer sur les quais
personne pour te consoler
on dirait une pouliche qui se déhanche pour s’endormir
et la brume viendrait se répandre autour d’elle
pour la protéger du regard des hérons
on dirait un pont qui s’élance
suspendu dans le vide
et la circulation s’arrêterait pour le regarder
un jour elle était restée comme cela
si longtemps
à le contempler
qu’il avait cru à un torticolis
elle se demandait simplement qui il était au fond
comme s’il le savait
il aurait du dire
le trop plein de son cœur
et sa tête qui cogne
au lieu de rester muet
benêt souriant
alors après cette éternité figée sans réponse
elle avait soupiré redressé la tête et disparu
ses pieds effleurant à peine le sol
fantôme au cœur tendre déçu
il n’avait entendu que ce soupir à l’affreuse douceur
aujourd’hui encore il résonne dans sa tête
comme un crissement sourd
tandis qu’il la cherche
désespéré
dans les rues du monde entier